• 17 Caprices d'Osamodettes (Priscilla / Esmène)

    La terreur continuait de se répandre à Astrub. Et ce n'était pas à cause de la morsure froide de ce mois de Novamaire que tout le monde s'affolait. Une seule femme échappait à cette foule de gens qui hurlaient et alertaient, se croyant maudits, c'était Priscilla. Armée de ses ciseaux de l'envie, elle regardait paisiblement le peuple demander du secours pour comprendre ce qui se passait.

    PRISCILLA - S'ils savaient...

    Djaul, de son côté, ruminait encore une fois sa vengeance contre la vaillante Jiva, comme ils avaient l'habitude tous les ans. Il n'allait pas se laisser impressionner cette année. Un jour Priscilla finirait bien par aller dans la Shukrute, avec tous les autres pécheurs.

    L'envieuse mercière du bourg Astrubéen se contempla dans son miroir, et enfila sur elle sa cape du Tofu, son Mangelâme et son masque de Srambad. Elle semblait ravissante. Mais elle n'avait pas encore regardé sa peau...

    Car en effet, autour de son cou, commençaient à se dessiner des marques démoniaques, provoquées par les péchés qu'elle commettait. Priscilla fut très inquiète et avait envie de plusieurs amulettes afin de dissimuler son secret.

    Une opportunité s'offrit à elle, lorsqu'elle vit Timothée avec une autre femme, une Fécatte, ornée de plusieurs amulettes aussi belles les unes que les autres. Prise d'un sentiment de jalousie inexpliqué, Priscilla attendit que sa future victime s'isola pour ensuite aller l'agresser dans une ruelle, déguisée en assassine.

    Cette fois, le plan ne se déroula pas tout à fait comme prévu. La tête tourna à l'envieuse disciple d'Osamodas, qu'elle tomba d'un malaise chez elle. Djaul se rendit compte de l'incident et décida de la contrôler pour l'aider à effectuer son travail. Priscilla semblait d'une toute autre apparence, plus démoniaque, à travers ses habits d'assassine. Djaul s'empara des amulettes tout de suite et les vola à la petite Fécatte, qui se nommait Opale. Il repartit vers la boutique.

    Ce ne fut que dans la soirée que Priscilla revint enfin à elle. Ses amulettes l'attendaient fièrement sur la table. Opale revint ici en demandant à Priscilla l'adresse d'un bijoutier.

    OPALE - On m'a volé mes amulettes, c'est un démon qui m'a agressée...
    PRISCILLA - Près de chez Tati Hacheum, vous avez bien regardé ?
    OPALE - Ah c'est vrai que je n'y avais pas pen... (Elle vit les amulettes sur la table.) Bizarre, ce sont les mêmes que j'avais...

    Priscilla commença à paniquer, et avant qu'Opale ne traite la mercière de voleuse, cette dernière lui enfonça ses ciseaux dans sa chair pour l'enfermer avec les autres.

    Malheureusement, l'histoire du démon s'était déjà répandue dans tout le bourg. Partout les journaux affichaient en gros titres "le démon d'Astrub". Les origines trouvées furent multiples : créature d'Ogrest, démon s'étant enfui de la Shukrute... Ils ne se doutaient même pas que c'était Djaul qui se cachait derrière cette agression.

    Priscilla s'enferma pendant plusieurs jours dans sa boutique et regardait le monde passer, inquiet. Chaque client qui venait la voir n'en ressortait jamais, possédant quelque chose qu'elle appréciait. On compta de nombreuses victimes :

    - Luna, une Fécatte tuée pour une ceinture polaire,
    - Bella, une Sramette tuée pour des Bas Roques,
    - Charlène, une Sadidette tuée pour une dague Nataraja...

    Et tant d'autres... Priscilla finit par devenir paranoïaque et commença même à espionner Timothée dès qu'il rentrait afin de voir s'il n'avait pas une maîtresse. La jalousie devenait une véritable maladie, un fléau qu'il aurait fallu éradiquer dès les premiers symptômes. Mais il était déjà trop tard.

    Du côté d'Esmène, les questions se posèrent en très grand nombre notamment sur la souveraine de Brâkmar, cet estomac du mal jamais rassasié. Esmène s'était même dirigée dans les égouts martiaux où l'on s'aperçut de plusieurs traces de dents (celles d'un démon d'après les scientifiques) dans les minerais. Le sel était plus croqué que les autres par ailleurs. Elle n'allait plus se servir sur sa table, c'était bien insuffisant, il lui en fallait beaucoup plus !

    Les marques étaient toujours présentes, et même, au lieu de s'effacer, elles envahissaient petit à petit le corps de la disciple au fil des actes. On ne dénombra plus les décès de la maladie de la gourmandise, hormis un très haut pic de mortalité recensé, qui n'allait rien arranger à l'attirance de la cité de Brâkmar vis à vis des autres. Pourquoi s'engager dans une nation où les gens mourraient immédiatement ?

    Un soir, où Esmène devait encore jouer à celle qui avait attrapé froid à cause d'une fenêtre ouverte pendant une nuit entière, le nombre de plats apportés baissait à cause de l'épuisement de quelques cuisiniers. Deux d'entre eux étaient même morts car ils avaient goûté à quelques gouttes de boisson contenues dans le calice de la gourmandise et ils avaient contracté la maladie. Lorsqu'Esmène l'apprit, sa rage redoubla et elle devint plus sèche, plus exigeante.

    ESMÈNE - Si besoin ramenez de force des chefs à la cuisine ! On va finir par tous crier à la famine si cela continue ! (Elle fait guise de tousser.) Le taux de nourriture ici est trop insuffisant, c'est inacceptable ! Alors vous allez me faire le plaisir de rapatrier toute la nourriture que l'on peut trouver dans ce royaume, et plus vite qu'un Tofu voyageur !

    Certains courtisans restaient traumatisés du brutal changement de comportement de la gourmande souveraine. Hugo fut davantage inquiet et n'arrivait pas à suivre ce qui arrivait dans son royaume. Esmène perdit de sa colère et renchérit son mari.

    ESMÈNE - Je fais tout pour que nous soyons heureux tu le sais. Je voudrais surtout éviter ce que l'on entend à propos d'Amakna et de la jeune fille qui gouverne tyranniquement sa nation. Bonta est devenue corrompue et Sufokia est en train de devenir une ville fantôme. Je veux montrer que Brâkmar est plus forte que tout cela.
    HUGO - En stigmatisant des gardes pour te ramener à manger ? Tu vas même jusqu'à mordre le sel en dehors des repas !
    ESMÈNE - J'ai juste très faim. (Elle fait encore semblant de tousser afin de rester crédible.) Puis je suis encore malade, et la faim justifie les moyens comme on dit !

    Bien évidemment, Hugo n'était pas très convaincu. Quelques heures plus tard, elle retrouvait enfin sa table et ses mets qu'elle dévora d'un coup. Bizarrement, elle se sentit prise d'une grosse fatigue et décida d'aller se reposer.

    Esmène ramena plusieurs restes (même des os) dans sa chambre sur une assiette pour les terminer. Elle les avala entièrement sans aucune peine. Elle se regarda une nouvelle fois dans la glace. Pour le moment, les marques restaient stables. Mais ses ailes avaient poussé et son apparence était devenue plus démoniaque, comme si elle se libérait la nuit. Anerice se tenait à côté d'elle. Elle la rassura et lui disait que tout ce qui lui arrivait était normal.

    Les semaines suivantes, Esmène invita une amie disciple de Sacrieur, celle qui cachait son visage, Xylène, à souper avec elle. La catastrophe fut inévitable. Xylène fut retrouvée décédée dans sa chambre d'hôte le lendemain matin, apparemment empoisonnée aux champignons. Esmène en avait aussi mangé, mais elle s'en était sortie indemne ! Hugo eut de la chance et fut juste malade pendant quelques temps. Personne dans le château n'avait compris ce qui était arrivé à Esmène avec cette histoire de champignons.

    ESMÈNE - J'ai de la chance d'être résistante contre les poisons de certains animaux, c'est tout. Juste de la chance. Y compris pour les Noirespores, les Araknes ou je ne sais quoi d'autre.

    Les victimes de la malédiction de la gourmandise commencèrent à se faire moins nombreuses. Quelquefois Esmène refusait carrément de sortir, pour s'occuper de son mari notamment et surtout pour surveiller que le plus de nourriture entrait dans son domaine pour ne jamais en ressortir. Elle ne montrait aucun signe de guérison de son "coup de froid", les marques étant restées sur elle.